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26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 16:20

(petit conte de Noël « à la manière de... » et... à l'usage des malentendants)


Comme le veut la coutume, Jevel quitta son village vers sa pelnitième année (1) pour effectuer, seul, une sorte de voyage initiatique pendant lequel il visitera des contrées inconnues.


En quittant son cher village de Pavoul, il songeât qu'à son retour, après avoir prouvé aux anciens qu'il avait découvert une chose nouvelle, Antelle, la belle Antelle lui sera enfin sienne.


Mais il faut dire quand même, à ce stade du récit, une chose importante ; les habitants de Pavoul sont tous sourds, mais alors sourds comme des pots ! Rien ne les interpellent, pas même le cri d'un animal, le chant d'un oiseau, le vagissement d'un nourrisson, non rien de rien ; ils parlent, ils déblatèrent, ils soliloquent, ils monologuent, mais ils n'entendent pas. Seul l'orage, parfois, avec ses grondements intenses... leur donne une sensation étrange, mélange d'étonnement et de peur.


Alors que Jevel sortait du village, une idée lui traversa l'esprit.
« Et si - se dit-il - au lieu de prendre la direction du Levant, comme le veut la coutume, je prenais celle du Couchant. Puisque je suis seul, personne ne le saura, tant pis pour le tabou tribal. En prenant ce chemin inconnu, je découvrirai plus facilement de nouvelles choses et ainsi, admirative, Antelle, la belle Antelle tombera dans mes bras. »


Après avoir marché, marché et marché encore, traversé des contrées hostiles, sans toujours manger à sa faim, ni dormir tout son saoul, il arriva dans un village nommé « Monlesda » où se déroulait une bien étrange cérémonie.


Il lui semblait que tous les habitants étaient réunis dans une vaste salle où de forts bizarres rites se déroulaient. Une quarantaine d'humanoïdes, tous du même habit vêtus, étaient assis, un peu surélevés, et faisaient face au reste du village, lui aussi assis. Tout était calme, et puis, brusquement, sur un signe magique de l'un d'entre eux, qui devait être le chef, les quarante premiers se mirent à bouger d'une manière que Jevel ne connaissait pas. Certains portèrent des objets à leurs lèvres, soufflèrent dedans, d'autres tapèrent sur des sortes de fûts, de bouts de bois ou de disques métalliques, alors que le reste du village restait totalement immobile, comme pétrifié par un pouvoir envoûtant inconnu des habitants de Pavoul. Soudain ! sans trop savoir pourquoi, ceux qui étaient surélevés se levèrent, alors que les autres, restés assis, frappèrent dans leurs mains comme le font les enfants de Pavoul pour apprendre à compter à la scolaris (2). Mais là, il n'était plus possible de compter, tout le monde tapait en même temps. Et puis, après que le chef se fut penché comme pour ramasser une noix par terre, tout se calma, et le cycle recommença : les objets s'approchant des bouches, les fûts et les disques frappés par de bien curieux bâtons, etc... et cela dura bien au moins neuf tempris (3).


Jevel se dit, « J'ai bien trouvé là une chose nouvelle dont les anciens n'ont jamais parlé à Pavoul. Ma réussite est assurée. Si j'arrive à convaincre les pavouliens de se soumettre à un tel cérémonial magique, Antelle, la belle Antelle... et surtout notre chef Erthom arrivera à leur parler, ils comprendront alors ses propos et arrêteront ces disputes interminables qui empêchent d'arroser les plantations ou même de faire les semis au bon moment. Ils font en général tellement de chahut que personne n'entend rien ! »


« Mais ! pensa Jevel en sursautant - quel mot étrange viens-je d'employer ? Entendre, « Entendre », nous ne connaissons point cela à Pavoul. Le secret de paix dont parlent les plus vieux de la tribu serait-il là ? Et cette cérémonie troublante en serait la grand messe. Je vais ramener ce trésor inestimable chez les miens et enfin, nos habitants connaîtront le bonheur. »

.../...

Ici s'arrête, mesdames et messieurs le bien curieux Récit de Jevel, une simple page manuscrite, si ancienne que les plus grands historiens n'ont pu la dater et qui retrace à n'en point douter la première rencontre d'un « homo simplex » avec les représentants d'une branche plus évoluée de la famille des « homo musicalis ».


(1) Environ 18 ans dans le langage Pavoulien
(2) Ecole pavoulienne
(3) Unité de temps pavoulienne égale à 3 temprus, temps moyen pour cuire un gramis, petit animal à longues plumes et à poil soyeux dont raffolent les pavouliens


Sylvain MARCHAL

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26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 16:17

Coucou du soir

Un coucou du soir
Pour dire que c'est pas noir
Car il y a fol espoir

Un coucou de la nuit
L'heure où l'on s'enfuit
Moment où parfois on revit


Un coucou de l'aube
Veut pas d'cette daube
Veut mettre belle aube


Un coucou matin pour une mutine
Qui veut pas sa vie une usine
A qui il faut heures câlines


Un coucou midi
Suis toujours pas au tapis
Mais fort et je crie


Un coucou aprem'
Pour semer petites graines
Celles quand qu'on s'aime


Un coucou crépuscule
Fleurit belle renoncule
Jamais ne recule


Un coucou du soir
Parc'qu'y a fol espoir
Et que c'est jamais noir

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26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 16:16

Carcaillet

Carcaillet avançait lentement, la pente était rude et la neige profonde, dense, lourde comme une vase d'étang. Il avait froid, faim. Le chemin sinueux était sans but, une courbe en cachait des dizaines d'autres, semblables, si ce n'est que certaines étaient plus amples, d'autres plus serrées, escarpées. Un pas succédait à l'autre, courts, las. Sa tête ne pensait plus, vide, elle ordonnait simplement à ses jambes d'avancer, toujours.

La nuit était tombée. Depuis quand ? Il avait l'impression d'être dans l'obscurité la plus totale depuis des jours. Etait-ce ce brouillard épais, ces nuages lourds, bas et humides qui semblaient s'ancrer dans le sol ? Etait-ce cette horrible sensation d'abandon qui lui mangeait les entrailles depuis... Etait-ce cette neige infernale qui lui voilait les yeux ? Etait-ce cet homme dont la laideur et le rictus difforme l'avait conduit à cette randonnée infernale, à cette fuite vers ce néant angoissant.

Une dernière fois, penser à cet enfant qui, au moment de son départ, de sa fuite, avait glissé ce petit objet dans sa poche en lui disant, de sa voix déjà trop vieille : « tu en auras besoin, ne le jette pas ». L'objet pesait peu, enveloppé dans un tissu sans forme ni couleur, même pas présent, juste là. Au moment où il s'était débarrassé de tous les ustensiles et vêtements qui encombraient sa besace, ne gardant que le pain déjà pierre et le morceau de lard dur comme glace, il avait oublié l'objet. Son seul souvenir, qui lui aurait arraché des larmes si celles-ci n'étaient pas gelées depuis longtemps dans leur écrin, était le visage de cette femme qui lui avait tendu quelques denrées, en se cachant. Ce visage grave, marqué, noble dans sa pauvreté, sans sourire, où il avait lu malgré tout une infinie tendresse, une générosité qui n'avait pas le droit de s'exprimer, même au coin des lèvres, même par le regard. Mais il avait lu, lu le plissement du front de la femme qui retenait, caché, scellé, un sentiment fort, venu du fond d'elle-même.

Nul doute que ce sentiment ténu, immatériel, presque fantomatique, lui donnait encore la force de marcher, de parcourir, foulée après foulée, la distance vers un ailleurs bien improbable, entre ravin définitif et cime invisible, dualité éternelle et certitude absolue.

Avancer, toujours avancer, sans sentir son corps, sa tête, son ventre recroquevillé. La douleur elle-même s'était évanouie, ne restait que le dernier souffle vital, avancer encore. Jusqu'à s'effondrer devant un muret où semblait luire, loin derrière, comme un point clair. La tête dans la neige, il entendit à peine ces voix qui lui criaient : « lève toi et dis qui tu es, ton nom, donne ton nom ou tu n'entreras pas ! ». Sa bouche est gelée, ses lèvres tuméfiées ne peuvent plus articuler le moindre son. C'est fini. Il roule, et roule aussi le tissu enveloppant l'objet de l'enfant, laisse apparaître un morceau de craie, blanc, pur, riche, vital. Il le prend, écrit en tremblant sur une pierre épargnée par les flocons : « je m'appelle Verityme, je suis celui qui a parlé ».

Ce que tu ne peux dire, n'oublie jamais de l'écrire.


Assis devant sa cheminée aux flammes palpitantes, changeantes comme un cœur de jouvencelle, chaudes comme un giron de printemps, il fait revenir aux portes de sa mémoire cette épopée, ce parcours de solitude qui a fait de lui ce vieillard aux yeux profonds, à la barbe généreuse et aux gestes lents.
Maintenant, seulement maintenant, il a le temps.

Le temps d'être, de penser.
Derrière lui, son front ne plisse plus, elle sourit.

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26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 16:13
« Les aventures de Roustakouette et Quenouillard »
ou « les loges de la vertu »

Petit précis moralisateur et iconoclaste à l'usage des éducateurs
(d'après un incunable (forcément !) du bureau des estompes de Branly le Gaillard)

 


Chap.1 : Où l'on apprend tout sur la taille des héros


L'assène se déroule en 1869, dans un de ces établissements privés où les heureux pensionnaires passent quelques temps à peaufiner leurs savoirs, à découvrir les joies de la science et des lettres, à approfondir les secrets de la nature, de l'anatomie comparée aux mystères insondables de l'âme humaine, moteurs essentiels de la vie et de l'action, comme dira plus tard un certain Henry B. (1859-1941).


La maison, au style sévère mais propret, fort bien fréquentée par tout ce que la ville comptait de notables lettrés et chiffrés, venant régulièrement enrichir leurs connaissances et appauvrir leurs bourses, était facilement reconnaissable à sa magnifique glycine mauve surmontée d'une jolie lanterne vermillon.


Dans cette école de la vie, puisqu'on peut bien l'appeler ainsi, gitaient, outre le personnel de maison et les éducateurs et éducatrices, deux jeunes et frais garçons dont l'âge pouvait s'estimer par la présence de stigmates acnéiques donnant un caractère pointilliste à leurs visages poupins.


Les deux énergumènes étaient plein de vie, bouillonnant de curiosité, agités comme des puces. Agitation qui leur jouait des tours puisque, par un curieux phénomène, plus ils s'agitaient, plus leur taille avait tendance à augmenter, leur faisant perdre toute discrétion dans leurs allées et venues.
Et c'est bien cela qui causa leur perte.


Un jour, mus par une curiosité que seul leur âge encore modeste pourrait excuser, Roustakouette et Quenouillard (c'est le nom dont les avait affublés leur tutrice, Madame Mathilde, par ailleurs directrice de l'établissement en question, qui, dans un élan de compassion, avait recueilli les deux miséreux nés de pères inconnus et de mères souvent nues), se mirent à gravir les quatre étages qui menaient au « combles des lys » (c'est ainsi que l'on nommait cette pièce donnant directement sur le jardin).


La porte étant close, ce qui nullement surprenant pour une maison bien tenue, nos deux bandits, approchant leurs têtes de l'huis, regardèrent par un minuscule interstice ce qui se théâtrait dans cette chambre où Marguerite recevait Madame de Meseuils, venue soulager ses crampes dorsales et ses vapeurs ventrales. De plus en plus agités, les deux larrons grossirent, enflèrent, gonflèrent, ballonnèrent, boursouflèrent, tu m'es fier à qui mieux mieux, tant est si bien que leur coup de sang alerta la surveillante, surnommée « la fée lotion » et non « la scions » comme certains esprits mal embouchés, et peut-être jaloux, se plaisaient à la nommer. Lotion, tout simplement, car pour masquer quelques rougeurs disgracieuses dues à un goût prononcé pour le sherry, elle s'enduisait largement le visage de crèmes apaisantes.


Donc, notre fée, outrée par cette curiosité contraire à la déontologie du lieu, décida d'une punition sévère, juste et efficace. Ses pouvoirs étant immenses, elle réduisit, dans un éclat explosif et d'un coup de baguette magique habile et bien placé, la taille de Roustakouette et Quenouillard, les ramenant à plus d'humilité et surtout à une grandeur qui ferait bonne figure au pays de Lilliput, ainsi surnommait t'on... mais ceci est une autre histoire !

 


Chap. 2 : Où nos héros découvrent un nouveau monde


Réduits à stature gnomâle, Roustakouette et Quenouillard, penauds et pendants, se trouvèrent projetés, par la grâce d'un éternuement vertueux (la fée lotion n'ayant jamais perdu l'habitude de priser), en plein centre du « comble des lys ». Et bing sur le mur, et bang sur le bois de lit, et aïe contre la table de nuit, les pauvres devenus si légers rebondirent comme baudruches ; dieu qu'il est frustrant d'avoir une dimension ridicule, pensèrent-ils... Enfin ! Les montagnes russes s'arrêtèrent et ils furent tout surpris d'atterrir sur une sorte d'immense coussin moelleux, doux, légèrement soyeux qu'ils entreprirent de descendre afin de retrouver la terre ferme et surtout le rez-de-chaussée où trône la cuisine fumante.

Roustakouette, plus courageux, pris la tête de la cordée, entraînant à sa suite et par la main, le pauvre Quenouillard devenu blême et flasque de peur. La longue et périlleuse descension commença.


Au début, tout se passa sans anicroche. Seule la fatigue se faisait sentir. Roustakouette et Quenouillard regrettaient amèrement leur mauvaise action, se disant que si tout était comme avant, ils pourraient encore doubler ou tripler de volume, ce qui aurait réduit d'autant la durée de la désescalade (ndla : si vous vous attardez quelques instants sur cette phrase, vous en saisirez tout le paradoxe, comme quoi la langue française et la nature sont des mystères bien insondables !). Mais, rien n'y fit, agitations, mouvements et tournoiements, ils gardèrent leur nouvelle et microscopique stature. Après quelques heures de marche, les voici qui atteignent le bord d'une véritable falaise, avant-garde d'une sorte de cirque himalayen aux strates antédiluviennes impressionnantes.

 


Chap. 3 : L'ascension du Mont Thoris


Contournant, ce qu'ils apprirent plus tard, avait comme nom Bryl, ils continuèrent à marcher, suant sang et eau, marcher et marcher. Quand, tout à coup, se dressa devant eux une forêt aux arbres immenses, mais sans branche, sans feuille. Juste une succession de troncs plus ou moins enroulés, semblant friser avec le ciel. Quelle vue hallucinante ! Sans parler de bruissements terrifiants dus sans doute à une bise polaire ou au déplacement de quelque animal fantastique (Roustakouette dira plus tard avoir aperçu une sorte d'araignée géante, mais n'en souffla mot à Quenouillard, de peur de l'effrayer encore plus et de le voir se recroqueviller jusqu'à l'état larvaire). Zigzagant entre les troncs, contournant les massifs boisés, les deux compères s'enfoncèrent dans la pénombre fantomatique. Après moult efforts, les voici qui arrivèrent en vue d'un paysage sorti de l'imagination fantasque d'un peintre bruegélien. Une sorte de mont se dressait devant eux, à hauteur tout juste franchissable, lisse et brillant.


Allons-y dit Roustakouette toujours vaillant, nous pourrons arriver de l'autre coté avant la nuit. S'étant nourris de fruits tombés des troncs pourtant glabres, ils avancèrent avec prudence. Au début, tout se passa bien. Puis, soudainement, ils sentirent sous leurs pieds comme des sortes de tressaillements, de subtiles vibrations du sol et, plus ils marchaient avec ardeur, plus ces vibrations gagnaient en intensité. Curieux phénomène surnaturel que ce mont qui répondait à leurs pas par ces mouvements anarchiques et de plus en plus intenses. A tel point que tout à coup, le sol se déroba sous leurs pieds, la grande dévalanche... quel séisme ! et les deux lutins crient : « Thoris, Thoris » - c'était le nom du mont - arrête, arrête ! Mais la terre se souleva dans un grondement infernal, les projetant à une vitesse inouïe en direction d'un gigantesque canyon aux bords escarpés...



Chap.4 : Quand nos héros affrontent la descente des rapides


Au secours ! A l'aide ! J'aperçois un fleuve aux eaux torrentielles, crie Roustakouette. Non c'est un raz de marée, hurle Quenouillard. L'océan va nous engloutir dans ses fosses abyssales, nous allons mourir, maman, ta g... tu la connais pas ta mère, l'enfer n'est pas que feu, ahhhhhhhh...


Les voici qui atteignent l'onde ruisselante et bouillonnante, plongent dans l'écume, ressortent à peine la tête le temps d'avaler une gorgée d'air, replongent, étouffent, halètent, sont ballottés d'un bord à l'autre de cette Amazone niagaresque, glissent le long de toboggans vertigineux, roulent entre les plissements hercyniens, sont projetés en haut des falaises abruptes, précipités vers les entrailles magmatiques, dévalent les flancs glissants comme verglas, se cognent sur les tumuli, évitent de justesse la fosse des Mariannes, se garent des éruptions imprévisibles... Quel spectacle diabolique ! se trouver ainsi plongés en pleine genèse (à « l'origine du monde », peindra plus tard un Gustave d'Ornans alimentant par là même les fantasmes lacaniens), en pleine création dantesque de l'univers...


Quelle terreur ! Quelle punition ! Ah qu'ils regrettent leur curiosité malsaine les deux petits hobbits !


C'est ainsi que s'achève ce récit. Le précieux vélin de Branly ayant trop souffert lors de son transfert entre le Monastère de Cacheleynone et le bureau des estompes, nous ne saurons jamais la fin de cette histoire palpitante. Tout au plus pouvons nous en tirer quelques hypothèses sur le péché originel, le bien-fondé des châtiments préventifs ou la nécessité des prières crépusculaires, remède infaillible contre les emportements nocturnes et assourdissants.

 

Yvan Charmallis

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